Faut-il nager avec les dauphins et les baleines ?

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Dans quelques semaines, nous partirons à la Réunion pour des vacances. Nous allons évidemment plonger, et nous savons aussi que différentes espèces de cétacés vivent ou visitent les abords de l’île. Pour nous, une opportunité unique de nager avec des dauphins et des baleines. Après une grosse phase d’enthousiasme, nous avons commencé à nous interroger sur le bien-fondé de cette activité.

Les scientifiques s’accordent maintenant à dire que dauphins et baleines sont perturbés par les bateaux et plongeurs qui rôdent autour d’eux. D’autant plus que les baleines, par exemple, viennent dans les eaux chaudes de la Réunion pour se reproduire et/ou donner naissance à leurs baleineaux avant de repartir avec leurs petits dans les eaux froides, qui sont les seules eaux où elles peuvent se nourrir en raison de la présence de plancton et de petits poissons. Pendant toute leur migration et leur séjour dans les eaux chaudes, les baleines restent à jeun.

Alors, si nous devions, nous aussi, prendre un bateau pour approcher ces grands mammifères et éventuellement nous mettre à l’eau pour les approcher et les observer ; allons-nous contribuer à les déranger et éventuellement perturber leurs vies (reproduction, sommeil, allaitement des baleineaux, chasse des dauphins, etc.).

La Réunion a mis en place un portail de formation afin de sensibiliser sur l’observation passive des cétacés et tortues.

Afin d’en savoir plus, nous avons rencontré Valérie Valton, éthologue spécialiste des interactions avec les mammifères marins sauvages. Valérie a fondé Dolphinesse, un portail de voyages animaliers responsables et écoparticipatifs.

Nous allons prochainement partir à la Réunion et nous nous demandons s’il est raisonnable d’aller nager avec dauphins et baleines ?

Pour la Réunion : oui. Il faut en revanche faire bien attention à la manière dont se font l’approche, la mise à l’eau, l’observation et l’interaction avec les animaux. Le respect de l’animal doit gouverner toute démarche d’interaction avec des animaux sauvages. Et puis à la Réunion comme partout ailleurs en France, il y a une législation relativement stricte, qui empêche de faire n’importe quoi puisque les distances et vitesses d’approche sont réglementées.

Par contre, dans d’autres régions du monde, c’est beaucoup plus compliqué. Il n’existe pas partout des lois. A l’île Maurice par exemple, la pression touristique est vraiment forte sur les dauphins et le grand nombre de touristes est vraiment problématique.

Globalement, il faut proscrire l’approche et les interactions avec des animaux menacés ou en voie d’extinction dans une zone géographique donnée et toujours respecter les réglementations.

Comment identifier un prestataire dont on peut penser qu’il sera respectueux des animaux et des lois ? Comment savoir si les méthodes employées sont les bonnes avant d’aller nager avec dauphins ou baleines ?

Il faut prendre du temps pour parcourir les sites internet des prestataires. Ceux qui sont respectueux des cétacés en parleront sur leurs sites. Vous pourrez y lire une passion et du professionnalisme et ils n’essaieront pas juste de vendre leur service, mais ils essaieront de transmettre leur passion.

Les bons prestataires utilisent une méthode passive pour l’approche, la mise à l’eau et l’interaction ; cette méthode passive est moins perturbante et invasive pour les baleines et les dauphins.

Il faut également s’assurer aussi de la présence d’un spécialiste à bord lors de la sortie en mer : biologiste, expert de l’approche, etc.

Ce référent sera en mesure d’évaluer la possibilité d’une approche respectueuse en fonction du comportement des animaux : sont-ils en train de dormir, de se nourrir, de socialiser entre eux… L’expert saura lire dans le comportement du dauphin ou de la baleine : un animal qui change de direction à l’approche du bateau ou des plongeurs, un animal qui tape la surface de l’eau avec sa queue, un animal qui sonde, etc.

En quoi consiste la méthode d’interaction passive ?

Il s’agit de se mettre à l’eau et de laisser aux animaux l’initiative de l’interaction. C’est une méthode respectueuse car ce sont les animaux qui décident de venir au contact ou pas.

Vous resterez en groupe, à la surface. Et vous approchez tout doucement des animaux, en nageant depuis le bateau qui ne peut pas approcher trop près.

Globalement, quelles sont les recommandations quant à l’approche des cétacés ?

En premier lieu, sur le bateau, il faut ralentir dès qu’on voit les animaux. D’abord parce qu’on peut les blesser avec les hélices du bateau, mais aussi pour éviter de faire trop de bruit. Le son se propage 5 fois plus vite dans l’eau que dans l’air. Donc le moindre bruit peut être dérangeant pour la faune. On évitera donc de faire trop de bruit, avec le bateau, mais aussi en palmant une fois dans l’eau, par exemple.

Il convient aussi de respecter une distance minimale entre le bateau et les animaux, plusieurs dizaines de mètres pour les dauphins, cent mètres pour les baleines.

Lorsque les animaux sont repérés, si toutes les conditions le permettent, il est possible de se mettre à l’eau et d’approcher dauphins et baleines à la nage, avec palmes, masque et tuba.

Pour l’approche à la nage des cétacés, il faut penser à certaines choses élémentaires :

Trajectoires d’approche : en bateau puis à la nage.
  • Essayer d’être le plus silencieux possible (bruit de palmage notamment)
  • Ne pas faire de grands gestes
  • Ne pas arriver ni frontalement face aux animaux ni par l’arrière, ce qui pourrait être interprété par eux comme une menace ou une attaque
  • L’approche doit se faire par le côté, avec une trajectoire courbe, comme une voiture sur une bretelle d’autoroute
  • Si les dauphins manifestent des signes d’agacement, de crainte ou d’agressivité, ne pas insister
  • Ne jamais s’approcher à moins de 2 ou 3 mètres des dauphins, s’ils le veulent ils approcheront plus près d’eux même
  • Ne pas toucher les dauphins, garder les mains dans le dos ou le long du corps, si un contact doit se faire, ce sera à l’initiative des cétacés
  • Rester groupés ; de cette manière, les dauphins peuvent avoir tout le groupe de plongeurs à l’œil et ne perçoivent pas des plongeurs venant de toutes parts comme des menaces
  • Si les dauphins s’en vont : ne pas chercher à les suivre. Ils sont dans leur élément, pas nous. Et ils pourraient prendre ça comme une menace, comme un prédateur qui poursuit sa proie.

Quels sont les signes de mécontentement chez le dauphin par exemple ?

Il y a de nombreux signes ou comportements qui révèlent que les dauphins ne souhaitent pas interagir ou qu’il ne faut pas les approcher :

  • L’animal tape la surface de l’eau avec sa queue, c’est également valable pour les baleines et les autres cétacés
  • Dauphins ou baleines qui sondent, c’est-à-dire qu’ils plongent vers les profondeurs, ou changent de direction pour s’écarter, signe qu’ils ne souhaitent pas être déranger
  • Le dauphin ouvre la bouche et/ou claque des dents face aux plongeurs
  • Le dauphin adopte une posture en ‘S’ avec son corps
  • Les dauphins semblent être en conflit entre eux ou agités

Dans tous les cas, il faut s’écarter doucement et ne surtout pas insister.

L’observation et l’intuition doivent aussi faire sentir aux plongeurs qu’il est temps de mettre fin à la rencontre.

Y’a-t-il un danger à plonger avec de tels animaux sauvages ? Nous avons vu que tu proposes par exemple des plongées avec des orques sauvages. Ca doit être très intimidant de se mettre à l’eau avec des orques.

A ce jour, il n’y a aucun cas d’attaque contre des plongeurs par des cétacés sauvages, en liberté dans la nature. Tous les accidents sont survenus dans des parcs aquatiques et impliquaient des animaux enfermés et pourtant faits pour vivre dans l’immensité des océans.

Rencontre avec une baleine à bosses.

Peux-tu nous parler de Dolphinesse ?

Dolphinesse est un portail qui a pour vocation d’essayer de transformer le tourismes animalier (principalement avec les cétacés, mais pas uniquement) afin de le rendre plus respectueux.

Nous proposons donc des voyages à travers le monde, de la France métropolitaine à la Polynésie Française, en passant par la Norvège et la Thaïlande (avec les éléphants), par exemple.

Nos voyages sont écoresponsables vis-à-vis des animaux, c’est à dire respectueux de ces derniers, et nous voulons éveiller la conscience des voyageurs et leur fournir les outils et informations nécessaires pour qu’ils deviennent des voyageurs animaliers avisés et responsables, contribuant à l’essor de la bientraitance animale et à la préservation des espèces sauvages.
Une autre partie de nos activités se fait auprès des autorités des différents pays où nous voyageons, pour conseiller et soutenir la mise en place d’un meilleur encadrement des activités touristiques liées aux cétacés. Toujours dans le but de garantir leur respect et leur préservation.

A la lumière de tous ces conseils, nous avons commencé à faire le tour des prestataires réunionnais proposant des « sorties cétacés ». Nous vous en reparlerons quand nous aurons eu la chance de tenter l’aventure. Car après notre discussion avec Valérie, nous avons décidé de saisir l’opportunité d’être à la Réunion pour nager avec des dauphins et, si la chance est de notre côté, avec des baleines. 🤞

Cette année, il y avait assez peu de baleines dans les eaux réunionnaises, et comme la saison se termine habituellement à la mi-octobre, il est malheureusement très probable que nous ne voyions pas de baleines. Mais sait-on jamais…

Si vous aussi vous avez la chance de voyager vers des destinations où des excursions animalières sont proposées, pensez bien aussi à réfléchir et à vous renseigner sur l’impact des ces activités sur l’environnement (faune et flore). Prenez le temps d’analyser les différentes offres et d’évaluer les pratiques les plus respectueuses pour les animaux quels qu’ils soient : dauphins et baleines, mais aussi phoques, oiseaux, grands mammifères terrestres (lors des safaris par exemple)… Et rappelez-vous que le tarif n’est pas forcément le point le plus important ; nos actions n’ont parfois pas de prix.

Interview de Valérie réalisée lors du Salon de la Plongée 2022.

Un grand merci à Valérie Valton de Dolphinesse pour son aide et pour les illustrations (photos et schéma) utilisées pour cet article.